S. m. (Morale) le suicide est une action par laquelle un homme est lui-même la cause de sa mort. Comme cela peut arriver de deux manières, l'une directe et l'autre indirecte ; on distingue aussi dans la morale le suicide direct, d'avec le suicide indirect.

Ordinairement on entend par suicide, l'action d'un homme, qui de propos délibéré se prive de la vie d'une manière violente. Pour ce qui regarde la moralité de cette action, il faut dire qu'elle est absolument contre la loi de la nature. On prouve cela de différentes façons. Nous ne rapporterons ici que les raisons principales.

1°. Il est sur que l'instinct que nous sentons pour notre conservation, et qui est naturel à tous les hommes, et même à toutes les créatures, vient du créateur. On peut donc la regarder comme une loi naturelle gravée dans le cœur de l'homme par le créateur. Il renferme ses ordres par rapport à notre existence. Ainsi tous ceux qui agissent contre cet instinct qui leur est si naturel, agissent contre la volonté de leur créateur.

2°. L'homme n'est point le maître de sa vie. Comme il ne se l'est point donnée, il ne peut pas la regarder comme un bien dont il peut disposer comme il lui plait. Il tient la vie de son créateur ; c'est un espèce de dépôt qu'il lui a confié. Il n'appartient qu'à lui de retirer son dépôt quand il le trouvera à propos. Ainsi l'homme n'est point en droit d'en faire ce qu'il veut, et encore moins de le détruire entièrement.

3°. Le but que le créateur a en créant un homme, est surement qu'il continue à exister et à vivre aussi longtemps qu'il plaira à Dieu : et comme cette fin seule n'est pas digne d'un Dieu si parfait, il faut ajouter qu'il veut que l'homme vive pour la gloire du créateur, et pour manifester ses perfections. Or ce but est frustré par le suicide. L'homme en se détruisant, enlève du monde un ouvrage qui était destiné à la manifestation des perfections divines.

4°. Nous ne sommes pas au monde uniquement pour nous-mêmes. Nous sommes dans une liaison étroite avec les autres hommes, avec notre patrie, avec nos proches, avec notre famille. Chacun exige de nous certains devoirs auxquels nous ne pouvons pas nous soustraire nous-mêmes. C'est donc violer les devoirs de la société que de la quitter avant le temps, et dans le moment où nous pourrions lui rendre les services que nous lui devons. On ne peut pas dire qu'un homme se puisse trouver dans un cas où il soit assuré qu'il n'est d'aucune utilité pour la société. Ce cas n'est point du tout possible. Dans la maladie la plus désespérée, un homme peut toujours être utîle aux autres, ne fût-ce que par l'exemple de fermeté, de patience, etc. qu'il leur donne.

Enfin la première obligation où l'homme se trouve par rapport à soi-même, c'est de se conserver dans un état de félicité, et de se perfectionner de plus en plus. Ce devoir est conforme à l'envie que chacun a de se rendre heureux. En se privant de la vie on néglige donc ce qu'on se doit à soi-même ; on interrompt le cours de son bonheur, on se prive des moyens de se perfectionner davantage dans ce monde. Il est vrai que ceux qui se tuent eux-mêmes regardent la mort comme un état plus heureux que la vie ; mais c'est en quoi ils raisonnent mal ; ils ne peuvent jamais avoir une entière certitude ; jamais ils ne pourront démontrer que leur vie est un plus grand malheur que la mort. Et c'est ici la clé pour répondre à diverses questions qu'on forme suivant les différents cas où un homme peut se trouver.

On demande 1°. si un soldat peut se tuer pour ne pas tomber entre les mains des ennemis, comme cela est souvent arrivé dans les siècles passés. A cette question on en peut joindre une autre qui revient au même, et à laquelle on doit faire la même réponse, savoir si un capitaine de vaisseau peut mettre le feu à son navire pour le faire sauter en l'air afin que l'ennemi ne s'en rende pas maître. Quelques-uns d'entre les moralistes croient que le suicide est permis dans ces deux cas, parce que l'amour de la patrie est le principe de ces actions. C'est une façon de nuire à l'ennemi pour laquelle on doit supposer le consentement du souverain qui veut faire tort à son ennemi de quelque façon que ce sait. Ces raisons, quoique spécieuses, ne sont cependant pas sans exception. D'abord il est sur que dans un cas de cette importance il ne suffit pas de supposer le consentement du souverain. Pendant que le souverain n'a pas déclaré sa volonté expressément, il faut regarder le cas comme douteux : or dans un cas douteux, on ne doit point prendre le parti le plus violent, et qui choque tant d'autres devoirs qui sont clairs et sans contestation.

Cette question a donné occasion à une seconde, savoir s'il faut obéir à un prince qui vous ordonne de vous tuer. Voici ce qu'on répond ordinairement. Si l'homme qui reçoit cet ordre est un criminel qui mérite la mort, il doit obéir sans craindre de commettre un suicide punissable, parce qu'il ne fait en cela que ce que le bourreau devrait faire. La sentence de mort étant prononcée, ce n'est pas lui qui s'ôte la vie, c'est le juge auquel il obéit comme un instrument qui la lui ôte. Mais si cet homme est un innocent, il vaut mieux qu'il refuse d'exécuter cet ordre, parce qu'aucun souverain n'a droit sur la vie d'un innocent. On propose encore cette troisième question, savoir si un malheureux condamné à une mort ignominieuse et douloureuse, peut s'y soustraire en se tuant lui-même. Tous les moralistes sont ici pour la négative. Un tel homme enfreint le droit que le magistrat a sur lui pour le punir, il frustre en même temps le but qu'on a d'inspirer par le châtiment de l'horreur pour des crimes semblables au sien.

Disons un mot du suicide indirect. On entend parlà toute action qui occasionne une mort prématurée, sans qu'on ait eu précisément l'intention de se la procurer. Cela se fait ou en se livrant aux emportements des passions violentes, ou en menant une vie déreglée, ou en se retranchant le nécessaire par une avarice honteuse, ou en s'exposant imprudemment à un danger évident. Les mêmes raisons qui défendent d'attenter à sa vie directement condamnent aussi le suicide indirect, comme il est aisé de le voir.

Pour ce qui regarde l'imputation du suicide, il faut remarquer qu'elle dépend de la situation d'esprit où un homme se trouve avant et au moment qu'il se tue ; si un homme qui a le cerveau dérangé, ou qui est tombé dans une noire mélancolie, ou qui est en phrénésie, si un tel homme se tue, on ne peut pas regarder son action comme un crime, parce que dans un tel état on ne sait pas ce qu'on fait ; mais s'il le fait de propos délibéré, l'action lui est imputée dans son entier. Car quoiqu'on objecte qu'aucun homme jouissant de la raison ne peut se tuer, et qu'effectivement tous les meurtriers d'eux-mêmes puissent être regardés comme des fous dans le moment qu'ils s'ôtent la vie, il faut cependant prendre garde à leur vie précédente. C'est-là où se trouve ordinairement l'origine de leur désespoir. Peut-être qu'ils ne savent pas ce qu'ils font dans le moment qu'ils se tuent, tant leur esprit est troublé par leurs passions ; mais c'est leur faute. S'ils avaient tâché de dompter leurs passions dès le commencement, ils auraient surement prévenu les malheurs de leur état présent, ainsi la dernière action étant une suite des actions précédentes, elle leur est imputée avec les autres.

Le suicide a toujours été un sujet de contestation parmi les anciens philosophes : les Stoïciens le permettaient à leur sage. Les Platoniciens soutenaient que la vie est une station dans laquelle Dieu a placé l'homme, que par conséquent il ne lui est point permis de l'abandonner suivant sa fantaisie. Parmi les modernes, l'abbé de S. Cyran a soutenu qu'il y a quelques cas où on peut se tuer. Voici le titre de son livre. Question royale où est montré en quelle extrémité, principalement en temps de paix, le sujet pourrait être obligé de conserver la vie du prince aux dépens de la sienne.

Quoiqu'il ne soit point douteux que l'Eglise chrétienne ne condamne le suicide, il s'est trouvé des chrétiens qui ont voulu le justifier. De ce nombre est le docteur Donne, savant théologien anglais, qui, sans-doute, pour consoler ses compatriotes, que la mélancolie détermine assez souvent à se donner la mort, entreprit de prouver que le suicide n'est point défendu dans l'Ecriture-Sainte, et ne fut point regardé comme un crime dans les premiers siècles de l'Eglise.

Son ouvrage écrit en anglais, a pour titre : a déclaration of that paradoxe or thesis that self-homicide is not so naturally sin et that it mai never be otherwise, etc. London 1700. ce qui signifie exposition d'un paradoxe ou système qui prouve que le suicide n'est pas toujours un péché naturel, Londres 1700. Ce docteur Donne mourut doyen de S. Paul, dignité à laquelle il parvint après la publication de son ouvrage.

Il prétend prouver dans son livre, que le suicide n'est opposé, ni à la loi de la nature, ni à la raison, ni à la loi de Dieu révélée. Il montre que dans l'ancien Testament, des hommes agréables à Dieu se sont donné la mort à eux-mêmes ; ce qu'il prouve par l'exemple de Samson, qui mourut écrasé sous les ruines d'un temple, qu'il fit tomber sur les Philistins et sur lui-même. Il s'appuie encore de l'exemple d'Eleazar, qui se fit écraser sous un éléphant en combattant pour sa patrie ; action qui est louée par S. Ambraise. Tout le monde connait chez les payens, les exemples de Codrus, Curtius, Decius, Lucrèce, Caton, etc.

Dans le nouveau Testament, il veut fortifier son système par l'exemple de Jesus-Christ, dont la mort fut volontaire. Il regarde un grand nombre de martyrs comme de vrais suicides, ainsi qu'une foule de solitaires et de pénitens qui se sont fait mourir peu-à-peu. S. Clément exhorte les premiers chrétiens au martyre, en leur citant l'exemple des payens qui se dévouaient pour leur patrie. Stromat. lib. IV. Tertullien condamnait ceux qui fuyaient la persécution, Voyez Tertullian. de fugâ, propos. II. Du temps des persécutions, chaque chrétien pour arriver au ciel affrontait généreusement la mort, et lorsqu'on suppliciait un martyr, les assistants s'écriaient, je suis aussi chrétien. Eusebe rapporte, qu'un martyr nommé Germanus, irritait les bêtes pour sortir plus promptement de la vie. S. Ignace, évêque d'Antioche, dans sa lettre aux fidèles de Rome, les prie de ne point solliciter sa grâce, voluntarius morior quia mihi utîle est mori.

Bodin rapporte d'après Tertullien, que dans une persécution qui s'éleva contre les chrétiens d'Afrique, l'ardeur pour le martyre fut si grande, que le proconsul lassé lui-même de supplices, fit demander par le crieur public, s'il y avait encore des Chrétiens qui demandassent à mourir. Et comme on entendit une voix générale qui répondait qu'oui, le proconsul leur dit de s'aller pendre et noyer eux-mêmes pour en épargner la peine aux juges. Voyez Bodin, Demonst. lib. IV. cap. IIIe ce qui prouve que dans l'Eglise primitive les chrétiens étaient affamés du martyre, et se présentaient volontairement à la mort. Ce zèle fut arrêté par la suite au concîle de Laodicée, canon 33. et au premier de Carthage, Canon 2. dans lesquels l'Eglise distingua les vrais martyrs des faux ; et il fut défendu de s'exposer volontairement à la mort ; cependant l'histoire ecclésiastique nous fournit des exemples de saints et de saintes, honorés par l'Eglise, qui se sont exposé à une mort indubitable ; c'est ainsi que sainte Pélagie et sa mère se précipitèrent par une fenêtre et se noyèrent. Voyez S. Augustin, de civit. Dei, lib. I. cap. xxvj. sainte Apollonie courut se jeter dans le feu. Baroniu dit sur la première, qu'il ne sait que dire de cette action, quid ad haec dicamus non habemus. S. Ambraise dit aussi à son sujet, que Dieu ne peut s'offenser de notre mort, lorsque nous la prenons comme un remède. Voyez Ambros. de virginitate, lib. III.

Le théologien anglais confirme encore son système par l'exemple de nos missionnaires, qui de plein gré s'exposent à une mort assurée, en allant prêcher l'Evangîle à des nations qu'ils savent peu disposés à le recevoir ; ce qui n'empêche point l'Eglise de les placer au rang des saints, et de les proposer comme des objets dignes de la vénération des fidèles ; tels sont S. François de Xavier et beaucoup d'autres que l'Eglise a canonisés.

Le docteur Donne confirme encore sa thése par une constitution apostolique, rapportée au lib. IV. cap. VIIe et cap. ix. qui dit formellement qu'un homme doit plutôt consentir à mourir de faim, que de recevoir de la nourriture de la main d'un excommunié. Athenagoras dit que plusieurs chrétiens de son temps se mutilaient et se faisaient eunuques. S. Jérôme nous apprend, que S. Marc l'évangeliste se coupa le pouce pour n'être point fait prêtre. Voyez Prolegomena in Marcum.

Enfin, le même auteur met au nombre des suicides les pénitens, qui à force d'austérités, de macérations et de tourments volontaires, nuisent à leur santé et accélèrent leur mort ; il prétend que l'on ne peut faire le procès aux suicides, sans le faire aux religieux et aux religieuses, qui se soumettent volontairement à une règle assez austère pour abréger leurs jours. Il rapporte la règle des Chartreux, qui leur défend de manger de la viande, quand même cela pourrait leur sauver la vie ; c'est ainsi que M. Donne établit son système, qui ne sera certainement point approuvé par les théologiens orthodoxes.

En 1732, Londres vit un exemple d'un suicide mémorable, rapporté par M. Smollet dans son histoire d'Angleterre. Le nommé Richard Smith et sa femme, mis en prison pour dettes, se pendirent l'un et l'autre après avoir tué leur enfant ; on trouva dans leur chambre deux lettres adressées à un ami, pour lui recommander de prendre soin de leur chien et de leur chat ; ils eurent l'attention de laisser de quoi payer le porteur de ces billets, dans lesquels ils expliquaient les motifs de leur conduite ; ajoutant qu'ils ne croyaient pas que Dieu put trouver du plaisir à voir ses créatures malheureuses et sans ressources ; qu'au reste, ils se résignaient à ce qu'il lui plairait ordonner d'eux dans l'autre vie, se confiant entièrement dans sa bonté. Alliage bien étrange de religion et de crime !

SUICIDE, (Jurisprudence) chez les Romains, l'action de ceux qui s'ôtaient la vie par simple dégout, à la suite de quelque perte ou autre événement fâcheux, était regardée comme un trait de philosophie et d'héroïsme ; ils n'étaient sujets à aucune peine, et leurs héritiers leur succédaient.

Ceux qui se défaisaient ou qui avaient tenté de le faire par l'effet de quelque aliénation d'esprit, n'étaient point réputés coupables, ce qui a été adopté par le droit canon et aussi dans nos mœurs.

Si le suicide était commis à la suite d'un autre crime, soit par l'effet du remord, soit par la crainte des peines, et que le crime fût capital et de nature à mériter le dernier supplice ou la déportation, les biens du suicide étaient confisqués, ce qui n'avait lieu néanmoins qu'en cas que le criminel eut été poursuivi en jugement ou qu'il eut été surpris en flagrant délit.

Lorsque le suicide n'avait point été consommé, parce qu'on l'avait empêché, celui qui l'avait tenté était puni du dernier supplice, comme s'étant jugé lui-même, et aussi parce que l'on craignait qu'il n'épargnât pas les autres ; ces criminels étaient réputés infâmes pendant leur vie, et privés de la sépulture après leur mort.

Parmi nous, tous suicides, excepté ceux qui sont commis par l'effet d'une aliénation d'esprit bien caractérisée, sont punis rigoureusement.

Le coupable est privé de la sépulture on en ordonne même l'exhumation au cas qu'il eut été inhumé ; la justice ordonne que le cadavre sera trainé sur une claie, pendu par les pieds, et ensuite conduit à la voirie.

Lorsque le cadavre ne se trouve point, on condamne la mémoire du défunt.

Enfin, l'on prononçait autrefois la confiscation de biens ; mais Mornac et l'annotateur de Loysel remarquent, que suivant la nouvelle jurisprudence, cette peine n'a plus lieu. Voyez au digest. le tit. de his qui sibi mortem consciverunt ; le trait. des crimes, de M. de Vouglans, tit. IV. ch. VIIe et le mot HOMICIDE. (A)